violences conjugales et intra familiales

L’État change de méthode face aux féminicides !

À l’occasion de ce 25 novembre, Éric Dupond-Moretti, Ministre de la Justice, dressait le bilan d’une année contre les violences à l’encontre des femmes. Lutte hissée au rang de grande cause nationale il y a trois ans, malgré un « Grenelle » contre les Violences faites aux femmes, malgré « balance ton porc », malgré une actualité toujours fébrile, ces drames contaminent toujours trop de familles, d’enfants, de proches, de génération en génération. Les pouvoirs publics, riches des expériences de terrains, commencent à revoir leur approche au bénéfice d’une méthodologie moins centralisée, moins verticale, plus collégiale pour plus d’efficacité de l’ensemble des acteurs.

C’est un euphémisme, le monde judiciaire s’est mobilisé, très lentement face aux violences à l’encontre des femmes. Les avancées sont toujours fragiles. En témoignent les dispositions ubuesques des ordonnances de protection visant à éloigner les conjoints violents de leur victime à l’été 2020. La nouvelle procédure confie ainsi aux victimes le soin d’adresser, par huissier de justice, à leur agresseur, dans les 24 heures, la requête, les pièces et l’ordonnance fixant la date d’audience, préalablement fixée par le Juge aux Affaires familiales. Charge pour la victime également de déposer ensuite l’acte de signification au greffe de la chambre de la famille. Tâche impossible. La France regarde souvent ses voisines avec mépris. L’Espagne a réussi à endiguer le phénomène : plus de 39 000 ordonnances de protections en 2018 : 2500 en France, en hausse, mais avec 221 pour la seule Seine–Saint-Denis, on mesure l’incurie du reste du territoire national dans la mise en œuvre efficace de ce dispositif.

Mais l’État s’adapte et progresse : les formations de policiers notamment améliorent l’accueil des victimes. Toutefois, le nombre de plaintes demeure stable tant perdurent encore et toujours la honte et la culpabilité qui annihile souvent la femme victime. Elle sera confortée dans son inaction par le faible nombre de condamnations, d’ampleur parfois trop modeste au regard du préjudice de la famille. Cette absence de considération de la Justice, parfois sa lenteur, parfois sa clémence, parfois les 3, découragent d’emblée chacune des femmes victimes devant le chemin de croix que se révèle être le parcours pour se libérer d’un conjoint dangereux.

Le rejet des violences contre les femmes grandit : combien d’instits, de médecins, de voisinage s’indignent devant les preuves de violence de la part d’un père ou d’un conjoint ?

Pourquoi un tel retard de résultats ? Au niveau judiciaire, les outils sont pourtant là, même si l’État se révèle lent à acquérir les « téléphones grave danger » ou des « bracelets d’éloignement ». La plongée dans un cas concret révèle la difficulté à coordonner les juridictions. JAF, juge au pénal, juge des enfants… Tous se renvoient la balle pour ne pas s’ajouter un dossier supplémentaire à un quotidien saturé… Les magistrats pourtant compétents, humains et professionnels n’ont que trop peu de temps. Au final, ici comme dans trop de domaines, la Justice maltraitée renvoie l’image d’un monstre froid.

Côté volonté politique, on constate encore parfois la carence chaque fois que les procureurs se montrent rétifs, parfois hostiles à protéger les victimes terrifiées. Pourtant, la grandeur du droit romain arroge à la société le pouvoir de protéger ceux qui sont en incapacité de le faire.

Coté méthode. Le consensus est fort pour connaître que la méthode employée jusqu’ici n’est pas la bonne. Un jacobinisme bien français cherchera à construire des usines à gaz, annoncer avec fracas une énième commission ou instance au nom ronflant pour lutter d’en haut contre ce fléau.

Nous appelons qu’enfin se construise un réseau efficace des acteurs de terrain, dans lequel chacun intervient respecté pour ses compétences et dans son champ d’activité. Organisé en tuyaux d’orgue, juridictions, acteurs de l’administration ou associatif, chacun reste dans son couloir, chacun se retranche sur son pré carré. La coordination des juridictions est une nécessité : pénal, civil, famille, protection de l’enfance… le problème doit se traiter sous tous ses aspects, dans le respect de chacun, pour coordonner enfin les agendas et la réactivité. Changeons aussi le rapport de l’institution judiciaire au monde qui l’entoure, pour qu’elle intervienne de concert avec les autres acteurs, dans le respect et la reconnaissance des responsabilités professionnelles, fonctions et champs d’activité de chacun. C’est le prix, plutôt modeste, pour faire reculer enfin les violences à l’encontre des femmes.

Nul besoin d’une énième grand-messe en quête d’une improbable martingale. Du signal faible jusqu’à la résolution globale d’une situation toujours complexe, misons sur la complémentarité des acteurs : l’alerte de l’instituteur, de l’animateur sportif ou de la PMI, la plainte au commissariat, la médecine de ville, l’action de l’ASE, le soignant qui prend en charge les blessures psychologiques, le travailleur social qui accompagnera le mari violent ou enfin l’association spécialisée qui permettra à la victime de se reconstruire… Tous ont leur place dans un réseau pour lutter contre les violences faites aux femmes et nourrir la décision du juge au pénal, du juge des enfants ou de celui des affaires familiales. La France ne peut continuer à se payer de mots, avec plus de trente lois depuis 2000. Le manque de moyens de la Justice française est connu et n’impacte pas seulement la mobilisation contre les féminicides. Mais peu de sujets imposent au fonctionnement de la Justice plus de transversalité et de coordination des juridictions et corps constitués de la Justice.

L’immobilisme actuel assure à chacun des acteurs d’être inefficace. On sait qu’isolé, aussi puissant soit-il, nul n’a la solution complète pour ces femmes en danger. Saluons l’engagement du garde des Sceaux de donner des directives claires aux procureurs. Il en va de la vie de femmes, il en va de la confiance de chacun dans nos institutions par la démonstration de leurs capacités à nous protéger.

À l’issue de ce 25 novembre 2020, reconnaissant le travail de la haute fonctionnaire à l’égalité femmes-hommes et de la mission contre la lutte contre les violences faites aux femmes, Éric Dupond-Moretti, garde des Sceaux, affiche sa volonté d’un travail pluridisciplinaire et de proximité pour démultiplier l’efficacité de l’action de tous.

La société ne peut plus tolérer ces drames indignes. Ce nécessaire chantier en construction doit redonner la fierté à l’institution judiciaire.

Nous savons la force de l’intelligence collective dont il revient aux pouvoirs publics de la mettre en œuvre en accordant sa confiance aux acteurs de terrain.
Nous saluons la création d’un réseau de travail de proximité auprès de chaque tribunal : les décisions doivent se concrétiser par des réseaux locaux.
Nous croyons l’État capable d’une réforme de la Justice bienveillante vis-à-vis des victimes, face à ces violences.
Nous voulons être fières d’une Justice suffisamment mûre pour travailler d’égale à égale avec d’autres partenaires.

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