Justice Familiale en France : La Circulaire de PolitiqueCivile, avancée majeure ou un effet d’annonce ?
La société française ne tolére plus la violence ‘intra familiale’ et c’est une bonne chose. L’émotion suscitée et massive par le drame de Gisèle Pelicot en témoigne. La justice française, souvent critiquée pour son retard dans la prise en compte des victimes, vient de faire un pas en avant significatif avec la circulaire de politique civile envoyée par le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, aux chefs de cour et de juridictions. Cette circulaire, la première du genre, vise à instituer une politique nationale de la justice civile, articulée autour de priorités claires et d’un nouveau pilotage. Mais quels sont ses objectifs et quel sera son impact réel ?
Une Avancée Historique pour la Justice Civile
Pour la première fois de l’histoire de la Chancellerie, une circulaire de politique civile est envoyée aux chefs de cour et de juridictions. Cette circulaire se distingue par son caractère profondément novateur : elle pose les fondements d’une doctrine nationale en matière civile, jusque-là inexistante, en affirmant une stratégie portée par le ministère de la Justice. Parmi les objectifs principaux, on peut citer :
La mise en place des conseils locaux de politique civile (CLPC) : Ces conseils, organisés annuellement dans chaque juridiction, réuniront les acteurs judiciaires, les professionnels du droit, les élus et les partenaires locaux afin de définir les priorités territoriales et d’assurer la lisibilité de l’action juridictionnelle. La revalorisation du rôle du ministère public : Les procureurs devront intervenir activement dans les contentieux civils et commerciaux présentant un enjeu d’intérêt général, avec un accent particulier sur les remontées d’information relatives aux contentieux à fort impact économique, social ou géopolitique.
Le déploiement d’une véritable politique publique de l’amiable : Cette politique vise à approfondir et amplifier les procédures amiables déjà lancées, avec la désignation de magistrats référents et la formation des acteurs concernés.
Le renforcement de la protection des majeurs vulnérables : Par une application rigoureuse du principe de subsidiarité, un suivi plus étroit des mesures, et une coordination accrue avec les autorités sanitaires et sociales.
L’accompagnement des exploitations agricoles en difficulté : En développant une approche juridictionnelle spécifique, adaptée aux réalités du monde agricole, et en facilitant le recours aux procédures préventives.
La prise en compte du contrôle coercitif dans les procédures civiles :
Afin de mieux détecter les situations de violences invisibles et de renforcer la protection des victimes.
L’accélération de la dématérialisation de la procédure civile : Avec la généralisation de la signature électronique, la mise en place d’un minutier numérique et l’expérimentation d’une gestion électronique de documents à l’échelle nationale.
Un Pas dans la Bonne Direction, mais…
Dix ans après le Québec, la France reconnaît enfin l’importance cruciale de l’attention portée aux victimes collatérales de situations de violence, notamment les enfants. Cette circulaire, qui incite à une évaluation globale des situations, est une avancée indéniable et bienvenue. Elle témoigne d’une prise de conscience que la justice doit placer l’humain au centre de ses préoccupations.
La Justice au Milieu du Gué ?
Cependant, en tant qu’avocate spécialisée en droit de la famille, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’impact réel et la portée de cette circulaire. Son application repose entièrement sur l’appréciation des tribunaux. Or, notre système judiciaire est malheureusement pris à la gorge, manquant cruellement de moyens financiers, humains et de personnel face à des besoins toujours croissants.
Cette situation laisse l’institution judiciaire « au milieu du gué » : une belle intention qui pourrait se heurter à la dure réalité du terrain, dans un contexte de forte tension budgétaire. Comment garantir que cette approche plus collégiale se traduira concrètement sans les ressources nécessaires ?
Des objectifs louables, mais des moyens à mobiliser
Il est impératif que les mesures prises pour protéger les plus vulnérables ne restent pas de simples déclarations d’intention. La reconnaissance des victimes, surtout les enfants, doit être suivie d’actes forts et de moyens concrets.
La circulaire prévoit des mécanismes ambitieux, mais leur mise en œuvre effective dépendra des ressources allouées et de la volonté politique de les soutenir sur le long terme.