Les enseignements et la dignité de Gisèle Pelicot
Le procès contre Dominique Pelicot et ses complices aura marqué un tournant dans le regard que la société porte sur les violences sexuelles. On ne remerciera jamais assez Gisèle Pelicot d’avoir permis l’ouverture des débats du procès. Ce procès a mis à jour une sous-culture délirante et répugnante, croisement de débauche sexuelle, de violence et d’emprise, qui se réfugie dans le dark web et vit des sites pornographiques.
Ce procès aura permis une prise de conscience générale. Chaque famille, chaque groupe d’amis, chaque réunion de collègues aura évoqué le sujet, suscitant des hauts-le-cœur et de la révulsion. En France, pays où l’égalité est inscrite au fer rouge dans l’ADN national, des exactions contre les femmes sont vécues comme foulant aux pieds ce principe. Cette prise de conscience suscite un rejet de ces violences dans une saine et forte indignation collective.
Le procès de Gisèle Pelicot contre son mari violeur et ses complices a aussi mis en lumière la grandeur des héros du quotidien. Il y a ce vigile, payé à coups de lance-pierres, qui prend ses responsabilités, qui retient le pervers voyeur, qui sait qu’il est face à une affaire grave et non à une partie de rigolade.
Il y a ce gendarme, méthodique, presque besogneux, qui creuse, qui dévoile l’impensable, qui instruit les faits avec rigueur et détermination. Face à l’horreur des arrière-cours sordides de l’âme humaine, ces deux hommes montrent combien l’éthique personnelle et professionnelle peut faire des miracles.
Et puis il y a la vie des institutions face à cette prise de conscience salutaire où l’on sait qu’il y a un avant et un après. Mais les institutions faillissent à leur mission d’assurer la paix de la société en prenant en charge la justice et en évacuant la violence. Ce procès aura mis à jour le décalage de nos institutions avec l’émotion générale.
Faillite, tout d’abord, de ces avocats dont les attitudes sont en violation de toute éthique et morale professionnelles, qui mettent en scène leur médiocrité, insultent la victime ou provoquent les femmes et les hommes venus soutenir la victime de l’indicible. Les institutions faillissent quand le conseil de l’ordre des avocats reste prostré devant les abominations des avocats de la défense.
Voici la France d’ aujourd’hui, dans laquelle les institutions – Justice, mais aussi Police, Éducation nationale, Université, Recherche, Collectivités – font face à la défiance. Cette défiance progresse quand les institutions faillissent.
Ce jugement insatisfaisant y participe, alors que le parquet avait perçu l’attente de la société d’un rejet net et ferme d’actes inadmissibles. Les jugements en demi-teinte opposent toujours la lecture du droit à la justice. Les sentences inférieures aux réquisitions ratent le rendez-vous de l’histoire et instaurent des viols à deux vitesses.
En l’occurrence, comme souvent, la Justice fait état de sa difficulté à entendre les victimes et à réparer. Nombre de juges, de procureurs ou d’avocats le constatent depuis des années : la Justice se réfugie derrière une lecture austère, rigoriste et imparable du droit qui masque son problème à prendre en charge les questions de violences sexuelles.
Les institutions ont failli aussi, dans l’affaire Pélicot comme dans toutes ces affaires de viol ou de violence, quand elles ne se parlent pas, restent dans leur couloir, ignorent les signaux faibles détectés ici à l’école, ici à l’hôpital, ici au guichet d’un commissariat. Quand la Justice devrait réunir les acteurs et agir pour les citoyennes et les citoyens, elle est saignée à blanc et n’a aujourd’hui à peine les moyens de sauver les apparences.
Les scènes en marge du jugement de Dominique Pélicot le montrent. L’agressivité dans l’espace et le débat publics mesure l’incapacité de nos institutions à imposer l’ordre et la justice. Ces renoncements participent à substituer la vengeance à la justice, et il est temps d’en prendre la mesure.
Merci à vous Gisèle Pelicot. Vous aurez avec courage permis de transformer ce qui aurait pu être un fait divers sordide en un électro choc. Aux institutions, aux avocats et acteurs de la justice d’être dorénavant à la hauteur de l’Histoire.